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Michielsens, Magda

E-désirs : la réalisation technologique des rêves des jeunes filles

Traduction: Ilke Joukes

Révision : Nadine Plateau

On-line version: http://digitales.constantvzw.org/texts/

Thèse: La révolution technologique est arrivée pile au bon moment pour les femmes. Elles ont rattrapé leur retard dans les domaines de l’éducation et de la formation professionnelle. Elles participent plus activement à la politique, à la culture et à la création artistique et on ne peut plus sous-estimer leur rôle dans le monde du travail professionnel. Quant aux tâches ménagères et aux loisirs, ils sont mieux partagés. Les circonstances sont désormais propices au travail dans le cyberespace. Mon objectif est ici d’examiner comment le genre marque les désirs et rêves cybernétiques et quels obstacles freinent ceux-ci?

Un changement culturel rapide

L’arrivée d’internet a révolutionné notre contexte culturel. Depuis la seconde moitié des années quatre-vingts-dix, les technologies de l’information et de la communication font partie intégrante de la vie professionnelle et privée. Aujourd’hui, c’est avec une très grande vitesse que l’information circule et que nous entrons en contact avec des gens de toutes les parties du monde. Nous pouvons dès lors transmettre nos savoirs au monde entier bien plus facilement et bien plus rapidement qu’auparavant. La grande innovation d’internet consiste à rendre accessible non seulement les nouvelles les plus fraîches mais aussi l’héritage intellectuel et culturel ainsi que les savoirs et les produits de la culture populaire.

Pas si vite que ça

Actuellement, on insiste de moins en moins sur la vitesse de ce changement culturel. Dans son introduction à l’usage d’internet pour les femmes «Internet ABC voor vrouwen. Een inleiding voor d@t@d@mes en modemmeiden» publié en 1995, Marianne Boomen décrivait deux scénarios pour l’an 2000. Dans le premier, elle esquissait le tableau d’une évolution sinistre: multiplication des contacts impersonnels, chaos croissant dont on se félicite comme s’il signifiait le progrès, égarement des gens sur ce Superautoroute, augmentation du stress et des erreurs dûes à l’ordinateur. La vie au sein de la société de l’informatique ne serait qu’une succession de malheurs. L’autre scénario, au contraire voit dans la société de l’information la source d’une vie agréable. Diminution de la hâte et du stress, pas de retard dans la livraison des repas, réservation de tickets et voyages par internet, consultation des horaires en ligne, envoi de commandes en ligne. Internet fonctionne ici sans discontinuer comme un gigantesque ouvrage de référence.

Marianne van de Boomen était encore trop optimiste en 1995 car une bonne partie de ces maux informatiques sévissent toujours. L’automatisation et l’informatisation de nombreuses activités quotidiennes provoquent un énervement permanent. Ainsi n’est-il pas rare de se retrouver coincé dans un parking parce que les machines automatiques ne fonctionnent plus ou parce qu’on n’est pas capable de de les utiliser. De même on se met à redouter de ne plus pouvoir sortir d’un bâtiment parce que soudain la porte protégée électroniquement ne lit plus la carte que l’on vient d’introduire dans la fente.On en arrive à se méfier de la porte électronique des toilettes, on a envie de hurler contre le répondeur trop envahissant. Ou alors le serveur fait le mort au moment où on a justement décidé de se mettre à étudier sérieusement un cours virtuel et ainsi de suite. Ces scénarios se produisent (encore) trop souvent.

Des temps qui se chevauchent

Du point de vue de l’automatisation et de l’informatisation, nous vivons une période de transition éprouvante. Pour la première fois dans l’histoire, les technologies de l’information et de la communication pèsent sur toutes nos activités. Depuis cinq ans, les innovations n’ont cessé de se multiplier et de concerner la vie professionnelle et privée de personnes toujours plus nombreuses, ce qui ne manque pas de provoquer de nouvelles difficultés sans parler des frustrations et des échecs.
Personnellement, j’ai beau faire un usage intensif de cette technologie et m’enthousiasmer pour ses potentialités intellectuelles et éducatives, je ne crois pourtant pas fort à l’amélioration de la qualité de vie par l’automatisation et l’informatisation. En ce moment même, je pencherais plutôt pour le premier scénario de Marianne van Boomen. De nos jours, les «Temps Modernes» n’ont pas pour seul décor les nouvelles usines et il n’y pas que Charlie Chaplin pour se perdre dans le labyrinthe de notre époque. Nous sommes souvent bien démuni-e-s face à ces innovations ce qui ne nous empêche pas d’espérer qu’il ne s’agit que d’une période transitoire et que bientôt tout ira mieux.

Interférences

Toute culture naissante dérape, doit faire ses maladies d’enfance; elle a toujours ses opposants, ses suiveurs, ses maniaques et ses partisans. Les gens ont besoin de temps pour accepter et s’habituer à la situation nouvelle Il faut beaucoup apprendre, développer à la fois une vision et une théorie, passer par des essais et des erreurs. C’est ainsi que les cultures évoluent.

Il existe toutefois des interférences qui nous confrontent à la technicité de la culture moderne.

Les Technologies de l’Information et de la Communication ne peuvent empêcher qu’une compagnie d’aviation ne fasse faillite. Ainsi une flotte d’aviation peut rester au sol alors qu’elle est équipée des dernières nouveautés technologiques. Il en va de même pour tous les gens qui se sont qualifiés en suivant des formations professionnelles et technologiques avancées et qui soudainement ne sont plus rémunérés.

Deux bâtiments hyper-sophistiqués se sont écroulés parce que deux avions les ont volontairement percutés. Non seulement, l’événement du 11 septembre avec sa dimension «technlogique» dépasse notre imagination, mais il marque aussi le choc de deux cultures. Nous avons pris conscience de ce que les concepts de «progrès» et de «Lumières» sont moins à rejetter que ne l’ont fait les théories critiques en Occident. Nous avons soigné cette blessure -à l’aide des technologies de l’information et de la communication- mais nous savons désormais à quel point nous sommes vulnérables.

Dernièrement les villes européennes ont été secouées par les mouvements anti-mondialisation. Un nouveau mouvement social de contestation est apparu, caractérisé par de nombreuses nuances et des degrés divers de pulsion destructrice. Ce mouvement s’en prend au mode actuel de globalisation. Il n’y a pas si longtemps, le terme de Global Village avait plutôt une connotation positive. MacLuhan avait prédit, il y a des années, que les technologies de l’information et de la communication transformeraient le monde en village: présence virtuelle, célébrité virtuelle, mobilité virtuelle se retrouveraient dans ce grand village où les niveaux global et local seraient en interaction permanente. Pourtant certain-e-s activistes et théoréticien-ne-s, dont Naomi Klein, se sont mis-e-s à aborder ce phénomène sous un autre angle.

Un espace ouvert

Je ne suis pas naïve quand je prétends que la révolution technologique est arrivée au bon moment pour les femmes. Je suis tout à fait consciente que ces changements et les nouvelles perspectives qu’offrent les multimédias aux écoles, universités, bibliothèques, lieux de travail et à la maison, prennent place dans un contexte politique et économique global que nous ne maîtrisons pas. Nous en profitons dans le petit espace de liberté que nous laissent des décisions politiques prises au sommet. Mon voeu le plus cher est que cet espace soit utilisé au mieux par les femmes et pour les femmes.

Qu’est-ce qui nous enchante?

Tim Jordan a analysé le “Cyberpower” ou le pouvoir cybernétique dans l’ouvrage “Cyberpower. The Culture and Politics and the Internet.
Cyberpower is the form of power that structures culture and politics in cyberspace and on the Internet. It consists of three interrelated regions the individual, the social and the imaginary” (p. 208 )
Le pouvoir définit et délimite la politique, la culture et l’autorité. Le pouvoir détermine la marge de liberté de l’espace cybernétique. Jordan dresse l’inventaire des pouvoirs qui décident des fondements de nos vies virtuelles et par conséquent les dominent. Et pourtant, l’espace de liberté se révèle riche en nouveautés et en possibilités proches de nos vieux rêves.

La dimension artistique de l’écriture “normale”

Tout est là, à portée de la main comme d’ailleurs les illustrations, les images et les inserts dont nous nous servons pour nous exprimer par écrit. L’écriture ne s’en trouve pas appauvrie, selon moi, car les mêmes exigences d’abstraction, d’expression et de précision sont de rigueur. Au contraire, quand on écrit sur le net, on dispose de tellement de matériel que l’on y gagne en possibilité d’expression. Les connaissances actives mobilisées pour écrire un nouveau texte prennent un autre sens étant donné la simplification des tâches requises.

Intertextualité

Les possibilités intertextuelles qu’offre Internet me plaisent beaucoup. Ainsi, l’hypertexte me permet -par définition- de signaler les liens auxquels je pense au moment où j’écris. Je peux montrer, mais seulement partiellement, que les différents textes communiquent dans ma tête, qu’ils s’accordent, se parlent et forment un système de significations. Insérer des hyperliens dans un texte donne à voir la structure du texte sans troubler le discours premier.

L’écriture est un art qui exige de savoir couper, coller, sélectionner, isoler pour finalement présenter un tout petit morceau de vérité au milieu d’un flot de mots (pas trop abondant). Tout le monde a appris cela mais certains sont plus doués que d’autres. L’éducation essaie de transmettre ces capacités artistiques à tout le monde et à tous les niveaux. Souvent le texte écrit ne nous paraît pas satisfaisant et nous savons que l’écriture d’un texte s’apparente au montage d’un film. Les différents niveaux de lecture qu’introduit l’hypertexte nous aident à développer cet art de couper, d’ajouter ou de garder des fragments de texte.
L’hypertexte est un vrai cadeau: un instrument qui nous permet de mieux exprimer ce que nous voulons dire. Plus riche que l’écriture linéaire, il est aussi plus complexe mais nous qui apprenons à maîtriser cet art nous en tirons bien du plaisir.
Est-ce que, en tant que femme, je veux, et le puis-je, explorer, via Internet et de manière intensive, un nouvel(?) ordre(?) symbolique(?).

Partager/échanger/sharing

La philosophie d’Internet repose entièrement sur le partage désintéressé: tout individu doit avoir accès au réseau. C’est pourquoi Internet est d’un accès facile même s’il y a de plus en plus de mots de passe qui limitent cet accès et que beaucoup de cours virtuels ne sont plus gratuits.

Les gardiens des portes du savoir qui jadis décidaient de qui pouvait entrer ont désormais disparu. Chaque individu a la possibilité de partager son savoir, et c’est là que le Réseau ouvre de nouvelles perspectives pour les femmes. L’ancienne littérature grise qui faisait circuler tant bien que mal l’information n’a plus de raison d’être.
L’espace cybernétique est le monde rêvé de l’échange et de la coopéeration … il est le lieu dans lequel nous vivrons et mettrons à l’épreuve notre «sororité».

C’est là, toujours et partout

L’accès permanent aux sites qui transmettent des informations utiles, la facilité avec laquelle je parcours les journeaux sur Internet et la persistance de pensées anciennes, tout cela resserre les liens avec mon monde mental. C’est là, toujours et partout comme une partie de mon être, à la fois air et racines. C’est une expansion de ma conscience, un redoublement sans schizophrénie.

Je suis là, toujours et partout

En tant que lectrice je peux consulter bien plus de sources et en tant qu’auteur j’ai désormais une présence et une portée sans précédent. Tout le monde peut alimenter en «contenu» le forum ouvert de la Toile. Il est vrai, comme on l’entend souvent dire, qu’Internet pèche par manque de contenu. En fait, trop de sites, contenant des listes d’adresses et des références vides, se recoupent. Et pas mal de sites sont illisibles et difficiles à consulter. Mais tout cela est en voie d’amélioration rapide et nous aussi pouvons y contribuer.

La pertinence du genre

La communauté intellectuelle

Les avantages cités plus haut sont d’une importance considérable pour les femmes. La communauté intellectuelle qui se forme via les Technologies de l’Information et de la Communication constitue pour les femmes un gain nettement plus important que pour les hommes. Les réseaux d’hommes existent depuis la nuit des temps. L’existence d’un patrimoine, d’une histoire intellectuelle était une évidence pour les hommes. Ce n’est que depuis peu que les femmes font partie de l’héritage culturel et/ou qu’elles sont en train de construire leur propre matrimoine.Les hommes, eux, n’ont au fond pas besoin d’Internet pour véhiculer leurs idées, pour trouver les fondements de leur pensée. Aujourd’hui, un capital symbolique et culturel féminin est en voie de création, non sans difficultés, mais les possibilités technologiques influencent favorablement son développement. Nous devons relever le défi en faisant pleinement usage des Technologies de l’Information et de la Communication.

Le provisoire

Le plaisr d’écrire pour Internet réside dans le côté non définitif de ce qui existe sur la Toile. Je peux par exemple décider de modifier mon texte ou même de l’enlever, chose impossible avec un texte imprimé. Tout texte publié mène sa propre vie mais il semble que les textes électroniques demeurent davantage le propriété de l’auteur que les textes traditionnellement imprimés. En outre, on sera plus tenté de publier un texte sur Internet que d’apporter celui-ci chez un imprimeur, même si les textes électroniques sont aussi volés, déplacés ou modifiés. Ne plus devoir apporter le texte à un imprimeur conviendrait mieux aux femmes. Françoise Collin a bien décrit l’angoisse qui se manifeste chez celles-ci au moment de la publication. Il lui semblait que les femmes considéraient le texte comme une partie de leur corps. Le texte électronique, par contre, peut être vécu comme“Ce texte n’est pas mon corps”.

Le bon moment

Depuis l’apogée de la deuxième vague féministe, beaucoup de choses ont changé dans la vie des femmes.Un des arguments utilisés pour barrer l’accés des femmes aux postes de responsabilité était le retard de leur formation professionnelle et de leur éducation. De nombreuses études ont démontré que cet argument était fallacieux. Nous savons aujourd’hui que le retard dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle a été rattrapé. Bientôt les filles manieront l’ordinateur aussi bien que les garçons et elles seront capables d’autant d’astuces électroniques que leurs compagnons. Le rêve alors se réalisera.

Et puis, actuellement la grande majorité des femmes travaillent avec un ordinateur. Après trente ans d’émancipation, les femmes ne risquent plus de s’égarer sur la Superautoroute de l’Information. Aucune révolution culturelle, aucune innovation technologique n’est jamais arrivée aussi à point pour les femmes. Il n’y a plus de raison de rater le coche. Au contraire, les innovations en matière d’information et de communication sont les bienvenues dans la vie des femmes et celles-ci disposent des qualités et du savoir nécessaires pour évoluer avec confiance dans l’ère cybernétique

Je m’efforce
sans cesse
J’écris

Je suis lue

Chacun en est capable

et chacun réfléchit

ou bien

c’est réalisable de toute façon

everything you can do, I can do

everything I can do

some one can do better

so what ?

let’s try again

La présence des femmes sur Internet, la mienne aussi d’ailleurs, m’enthousiasme énormément, mais je sais qu’il nous faudra encore améliorer certaines choses afin d’explorer toutes les possibiltés de cet espace ouvert.
Il nous faut occuper cet espace et saisir la chance sinon nous risquons un violent retour de manivelle mais ceci est une autre histoire.

Bibliographie

Collin, Françoise (1986). Un héritage sans testament. Les Cahiers du Grif, nr. 34, p.81-92. 

Jordan, Tim (1999). Cyberpower. The culture of Policis of Cyberspace and the Internet. London: Routledge.
McLuhan, Mashal (1964). Understanding Media. London: Routledge & Kegan Paul.
van den Boomen, Marianne (1995). Internet ABC voor Vrouwen
Een inleiding voor d@t@d@mes en modemmeiden. Amsterdam: Instituut voor Publiek en Politiek.

http://women.ped.kun.nl/inscribing

http://women.ped.kun.nl/dreams

http://women.ped.kun.nl/virtualities

http://women.ped.kun.nl

http://www.uia.ac.be/women

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